18th BFI Future Film Festival, 2024
"Je pense que ce genre de festivals est très important pour les jeunes cinéastes. Il nous permet de partager notre travail, d’avoir un retour critique de la part de pairs et de professionnels, de développer un réseau, et d’apprendre la façon dont fonctionne l’industrie du cinéma..."

Blanche
Malet
SUTURES ET
Sutures et Consolation explore poétiquement les émotions ressenties par la cinéaste au cours des jours entourant le décès de son père.
Salut Blanche, merci d'avoir parlé à TNC. Qu'est-ce que ça fait d'avoir Sutures et Consolation / Stitches and Solace au BFI Future Film Festival de cette année?
Salut chers lecteurs de TNC! Je suis très heureuse, c’est une grande chance de pouvoir partager mon film avec le public du BFI Future Film Festival. C’est particulièrement significatif pour moi car je fréquente les cinémas du British Film Institute très régulièrement et que j’adore cet endroit.
Sutures et Consolation a déjà connu un grand succès dans plusieurs festivals, qu'est-ce que cela signifie pour vous de voir votre film recevoir un si bel accueil?
Cela m’émeut beaucoup, surtout étant donné le sujet que j’aborde, qui est si personnel. Je suis contente que beaucoup de spectateurs s’y retrouvent un petit peu.
Vous avez récemment obtenu votre diplôme de master en animation au Royal College of Art, quelle a été votre expérience au RCA et quelle a été, selon vous, la leçon la plus précieuse que vous ayez tirée de votre séjour là-bas ?
Mon master au RCA était très inspirant. Il m’a permis de rencontrer de talentueux animateurs – certains de leurs films ont d’ailleurs été sélectionnés pour ce festival. J’ai aussi eu la chance d’être encadrée par des professeurs ayant des pratiques et intérêts très variés, ce qui a été très enrichissant. La leçon la plus précieuse que j’ai tirée de cette formation est d’oser expérimenter avec le médium de l’animation. Je pense que je n’expérimente d’ailleurs pas assez, mais c’est sans aucun doute quelque chose que j’essaye d’incorporer dans ma pratique de plus en plus.
Quelle est l’importance des festivals comme Future Film Festival dans la création d’une plateforme pour les courts métrages et les cinéastes émergents?
Je pense que ce genre de festivals est très important pour les jeunes cinéastes. Il nous permet de partager notre travail, d’avoir un retour critique de la part de pairs et de professionnels, de développer un réseau, et d’apprendre la façon dont fonctionne l’industrie du cinéma… Cela apporte aussi beaucoup de confiance en soi, c’est une façon d’être reconnu, ce dont nous avons souvent besoin, surtout après avoir terminé nos études et avoir été confronté à la difficulté de trouver un emploi dans l’industrie du film.
Que peut-on faire de plus au niveau local/national pour offrir aux courts métrages plus de visibilité en dehors du circuit des festivals?
Malheureusement les courts-métrages ont rarement une très grande audience: contrairement aux longs-métrages, ils ont beaucoup moins de chance d’avoir leur propre séance. Les cinémas pourraient peut-être implémenter la projection d’un court-métrage avant celle de longs-métrages, comme pour les concerts dans lesquels un artiste moins connu se produit en première partie. C’était un peu le cas il y a longtemps, lorsque les cinémas passaient des cartoons avant les longs-métrages, il me semble. Mais je ne sais pas trop comment cela fonctionnerait, je ne suis pas une experte en programmation.
Pouvez-vous me raconter comment est né Sutures et Consolation / Stitches and Solace, aviez-vous des appréhensions à faire un film inspiré de votre histoire personnelle?
Lorsque j’ai commencé mon master au RCA, j’ai dû choisir un sujet pour mon film de fin d’année. J’ai d’abord pensé à aborder un sujet différent, mais à un moment donné, un de mes professeurs m’a suggéré d’incorporer une expérience personnelle. J’ai toujours su que je voulais adresser mon expérience de deuil – j’avais eu le projet de créer une chorégraphie de danse contemporaine sur ce sujet, mais c’était trop difficile émotionnellement pour moi à ce moment-là. La suggestion de mon professeur m’a convaincue à nouveau d’aborder ce sujet. Et cette fois-ci je me sentais prête. Je n’avais pas trop d’appréhensions à faire ce film. Je doutais simplement de l’intérêt qu’une audience pourrait porter à un tel film.
Cela a-t-il été quelque peu cathartique pour vous de regarder en arrière et d'explorer les émotions que vous avez ressenties au moment du décès de votre père?
J’ai débuté ce projet en pensant qu’il allait m’aider à accepter la mort de mon père. C’est peut-être pourquoi je n’avais pas si peur de le réaliser. Sa production a définitivement eu un effet cathartique sur moi. Elle m’a aidée à profondément accepter ce qui s'était passé quatre ans plus tôt, d’une façon vraiment surprenante. Je pense que cela s’explique surtout par le fait que la production de ce film m’a forcée à faire face à ces souvenirs, à les ordonner et leur redonner un sens. Aussi, j’ai fait le choix de dessiner tout à la main, image par image, sur papier, ce qui était laborieux mais méditatif, et m’a permis de me pencher encore plus de temps sur mes émotions.
CONSOLATION

Lorsque vous travaillez sur un court métrage comme Sutures et Consolation / Stitches and Solace, quelle flexibilité vous accordez-vous dans votre processus de réalisation, préférez-vous vous en tenir à un plan ou permettez-vous une production plus fluide?
Je m’accorde beaucoup de flexibilité! Je ne travaille pas naturellement avec des storyboards complets. Je fais plutôt quelques croquis représentant les scènes émergeant de ma mémoire ou de mon imagination, puis je les teste et les anime. Ensuite, je les monte ensemble et je joue avec leur ordre pour voir ce que je préfère. J’ai l’impression que cette façon de procéder m’est plus authentique, je laisse plus de place pour le perfectionnement, le doute et les changements radicaux.
Avez-vous toujours eu une passion pour le cinéma?
Je pense que oui. J’ai beaucoup hésité lorsqu’il a fallu choisir ce que je voulais faire comme métier. J’ai étudié la médecine pendant trois semaines – je voulais être neuroscientifique – et puis j’ai obtenu une licence spécialisée dans les influences Gréco-romaines sur la culture contemporaine. Mais je pense qu’au fond de moi, j’ai toujours voulu être cinéaste. Je suis fascinée par le médium du film et j’ai toujours joué avec, que ce soit en filmant des scènes banales avec mon téléphone, en montant des films d’archives ou en animant des courts-métrages. Comme je pratique le dessin depuis mon enfance, l’animation était un choix assez évident dans ma pratique cinématographique.
Quels cinéastes vous ont inspiré?
En animation, William Kentridge a eu une grande influence sur moi, ce qui est peut-être assez clair en particulier dans Sutures et Consolation. Le choix du fusain et des fils rouges est une référence à cet artiste, qui était l’un des préférés de mon père. Au-delà de l’animation, j’ai été très touchée par le film The Quiet Girl de Colm Bairéad, et il m’a probablement inspirée pour mon film. Enfin, je suis très admirative des films de Paolo Sorrentino, ce qui m’influence probablement inconsciemment au quotidien.
En créant Sutures et Consolation / Stitches and Solace, pensez-vous avoir acquis une nouvelle perception de ce que signifie la perte et pourquoi elle nous affecte tous autant et de manière si différente?
Réaliser ce film m’a permis de mieux comprendre le deuil plutôt que la perte. Je pense que j’avais besoin, pour aller de l’avant, de me pencher sur le passé et de lui être présente. Créer Sutures et consolation m’a permis ça. Ça m’a paru comme une évidence lorsque j’ai lu The Grieving Brain de Mary-Frances O’Connor après avoir terminé le film. Ce livre explique la façon dont le cerveau appréhende le deuil, et donc propose un point de vue neuroscientifique sur la perte et le deuil qui la suit.
"Il est facile pour nous d’être tellement absorbés par le processus laborieux d’animation qu’on en perd de vue l’objectif premier, qui est de faire un film intelligible et bien rythmé.
Que dit Sutures et Consolation / Stitches and Solace de vous en tant que cinéaste et des récits que vous souhaitez raconter à l’avenir?
J’espère que Sutures et Consolation n’en dit pas trop sur la cinéaste que je suis. Sa réalisation m’a beaucoup réjouie, mais je ne souhaite pas m’enfermer dans un genre ou une technique d’animation. Je préfère continuer à expérimenter plein de façons différentes de faire des films. Mais je dirais que réaliser celui-ci a renforcé ma curiosité pour le sentiment de deuil. Je prévois d’explorer plus profondément cette idée avec un futur projet, à travers un prisme différent. Je souhaite explorer le sentiment de deuil ressenti après avoir fui son pays d’origine pour habiter ailleurs.
Y a-t-il des conseils/astuces que vous pourriez offrir à un collègue cinéaste sur le point de commencer son parcours cinématographique?
Je débute aussi dans le monde du cinéma (j’espère que ça ne s’arrêtera pas tout de suite), mais je pense que je leur conseillerais de croire en leur intuition tout en portant un regard critique sur leur travail. Surtout pour les animateurs. Il est facile pour nous d’être tellement absorbés par le processus laborieux d’animation qu’on en perd de vue l’objectif premier, qui est de faire un film intelligible et bien rythmé.
Quel a été le meilleur conseil qu’on vous ait donné?
Je pense que le meilleur conseil que l’on m’ait donné est de ne pas trop porter attention à l’avis des autres. C’est assez simpliste, mais je pense que c’est un bon conseil.
Et enfin, qu’espérez-vous que votre public retienne de Sutures et Consolation / Stitches and Solace?
J’espère que mon film donne accès à mon public aux émotions que l’on ressent lorsque l’on perd un être cher. Et si certains ont vécu une expérience similaire à la mienne, que Sutures et Consolation puisse aussi les consoler un peu.